mardi 10 novembre 2015

Hors-sujet ?, c'est vous qui voyez…


« C’étaient des chasseurs de bisons, chasseurs de peaux et non chasseurs de viande; cette distinction étant essentielle. Les chasseurs de viande tuent pour nourrir la population, et leurs prodigieux exploits ont valu à quelques-uns d’entrer dans la légende. 

Tel était Buffalo Bill, expert en abattage pour le compte des employés des chemins de fer du Kansas. 

Si ses instruments de travail étaient autres, sa tâche était identique à celle de n’importe quel tueur dans n’importe quelle entreprise commerciale de boucherie: ni plus louable, ni plus héroïque.

Mais, se distinguant des autres tueurs de profession, il dirigeait un spectacle sur le « Wild West », partait en tournée au quatre coins du monde, chargeait ses revolvers à la chevrotine et gagnait une renommée de grand héros, de fin fusil et de menteur d’envergure.


Quoi qu’il en fût, Buffalo Bill ainsi que les autres chasseurs de viande ne comptaient pas à leur actif un nombre appréciable de pièces par rapport aux millions de bisons qui erraient dans les plaines. 

Les bisons furent détruits, en incroyablement peu d’années, par les chasseurs de peaux. 

Ces derniers recherchaient le cuir purement et simplement – au diable la chair et les os. 

Ils exploitaient un filon, écumant la richesse du pays et, dans leur sillage, laissaient les traces hideuses de leur carnage. 

Ils suivaient les troupeaux avec leurs grandes et lourdes voitures et, armés de leurs gros fusils à bisons, ils tuaient et tuaient sans relâche. 

Ils travaillaient en général par équipe de deux et quatre: deux hommes pour tirer, quatre pour dépecer l’animal. 

Ecorcher était une science; il fallait fendre la peau du ventre et des pattes, écorcher, dépouiller. 

Un bon chasseur pouvait enlever la peau d’un animal en sept minutes; les dépouilles étaient entassées fraîches dans les fourgons.


Dans les années 1860, on faisait fortune dans la chasse au bison. 

Des compagnies furent créées qui employaient des hommes rudes pour tuer, plus rudes encore pour écorcher. 

Suivis de quarante ou soixante voitures, les chasseurs suivaient la piste des bisons et, que ce fût le matin, à midi ou la nuit, on les entendait tirailler. 

Pendant des kilomètres et des kilomètres, sur les plaines flottait l’odeur de charnier que dégageait la viande pourrie; les coyotes eux-mêmes, gorgés de nourriture, dédaignaient cette proie. 

L’Amérique n’avait jamais été le théâtre d’un tel massacre; et il n’est pas sûr que dans toute l’histoire de l’humanité on eût jamais vu pourrir ainsi sous le soleil brûlant tant de milliers de tonnes de viande. 

Les bisons étaient extraordinairement nombreux, mais à force de massacres on finit par en venir à bout. 

Lorsque les chemins de fer commencèrent à sillonner le continent, les trains attendaient parfois un jour entier qu’un troupeau eût traversé les voies. 

Cinq ans plus tard, les bisons étaient rares. 

Dix ans après, ils avaient pratiquement disparu, il n’en restait que le souvenir: un million de squelettes blanchis.


Aux yeus des Indiens, ce fut d’entre tous le crime qu’ils comprirent le moins, celui qui leur porta le coup le plus rude et le plus tragique. 
Dans les plaines, depuis des temps immémoriaux, le bison avait été leur vie. 
Sa chair les nourrissait, son cuir leur fournissait les vêtements, les couvertures, les tipis, les armures; ses os, des armes et des aiguilles; ses dents servaient d’ornements, ses tendons de fil, ses entrailles de récipients et de sacs; ses sabots leur donnaient la colle; et même les déchets, les fientes étaient un précieux combustible qui brûlait avec une flamme chaude et régulière. 

Rien n’était gâché et, jusqu’à la dernière goutte de son sang, le bison était consommé par les tribus errantes qui tuaient strictement selon leurs besoins et considéraient les troupeaux comme la source éternelle de leur subsistance.

Au moment où la chasse au cuir atteignait son paroxysme, les Indiens, voyant les troupeaux disparaître et les plaines se couvrir de charognes, conçurent une haine folle pour les chasseurs. 

Sans aucune raison, ces hommes anéantissaient les bisons et, du même coup, leur coupaient tout moyen d’existence. 
La chasse, même à grande échelle, ils pouvaient la comprendre. 
Mais la destruction totale et le complet gâchis représentaient pour eux le plus effroyable de tous les crimes. 
Avec les bisons disparaissait tout ce qui avait été l’Indien des Plaines. »

La Dernière Frontière


Traduit par Catherine de Palaminy


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